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Rencontre avec des êtres extraordinaires

Il est de ces gens dont la rencontre vous ébranle. Par leur volonté et leur intelligence de l’autre. Par leur façon de voir la vie et de la vivre. Par leur engagement dans notre société.

Vous vous sentez grandis de les avoir approchés, regardés ou entendus. Leurs engagements sont pourtant modestes. Ils passent souvent même inaperçus. Ces êtres sont presque anonymes, mais uniquement pour ceux qui sont loin d’eux.
Nous avons voulu leur rendre hommage. Vous les faire rencontrer.

Une frivolité si nécessaire

 

Personne n’y avait encore pensé. Et pourtant quand on entend parler du projet, c’est l’évidence même : un salon social. Un salon de beauté pour celles qui avaient oublié que cela existe. Et derrière cette idée incroyable, une femme, Lucia Iraci.

 

Lucia Iraci, dans le salon social de la Goutte-d’Or.

 

Lucia Iraci me reçoit avant l’ouverture dans son salon de coiffure à Saint-Germain-des-Prés : un superbe espace lumineux, aux beaux volumes et au chic discret, au fond d’une paisible cour privée.

Derrière son allure de femme gracile et réservée, se cachent des rêves gros comme une maison et une détermination de fer pour qu’ils se réalisent.

Lucia se présente comme étant d’abord une femme qui travaille, pour qui le travail est une chose vitale. Elle aime le travail car elle se dit gâtée par la vie dans le sens où elle n’a jamais été obligée de faire les choses, et a toujours été son propre maître. Alors travailler beaucoup, tout le temps, n’est jamais pour elle une contrainte ou une corvée. Et c’est parce qu’elle travaille autant qu’elle a pu, en plus de son propre salon, porter le projet du salon social Joséphine.

Pendant vingt-cinq ans, coiffeuse de studio, Lucia Iraci collabore avec les plus grands créateurs et photographes : Christian Dior, Yves Saint Laurent, Bettina Rheims, Peter Lindbergh… et réalise,  grâce à la photo, le pouvoir des cheveux. Combien ils sont intimement liés à l’image de soi, au bien-être… Ce métier qu’elle n’a pas vraiment choisi au départ devient rapidement une passion. Une révélation. Et un jour, celle qui a commencé par coiffer les stars a eu envie / besoin de coiffer aussi les femmes en difficulté.

Avant de concrétiser le projet social et d’ouvrir le premier Salon Joséphine pour la beauté des femmes, il s’est passé des années, mais Lucia a tenu bon : en 2000, elle ouvre son propre salon. En 2006, elle crée l’association Joséphine. Le lundi, son jour de congé, elle commence à organiser ses premiers ateliers avec Fabienne, son amie maquilleuse : pendant deux ans, elles se déplacent en banlieue pour coiffer les femmes que plus personne ne regarde, celles qui ne se regardent même plus. Lucia les accueille ensuite un jour par semaine dans son salon. Sa rencontre avec Maya Wendling sera décisive. Elle l’aide à matérialiser son projet et à ouvrir le 8 mars 2011 le premier salon de coiffure social : Le Salon Joséphine à la Goutte-d’Or.

 

La devanture du Salon Joséphine pour la beauté des femmes dans le quartier de la Goutte-d’Or (Paris 18e). On ne voit rien de l’extérieur. Et c’est une belle découverte quand on entre.

 

Le Salon Joséphine est mené de main de maître et avec le sourire par Koura qui accueille toutes les « clientes ». Car on veut laisser aux femmes la fierté d’être clientes. Les soins ne sont donc pas gratuits, même si les prix sont dérisoires : coupe + brushing à 3 euros et manucure à 1 euro. On accueille ici les femmes entre 18 et 60 ans, et on les accompagne pour une insertion / réinsertion dans la vie professionnelle et des fois dans la vie tout court.

Voici ce que dit Lucia Iraci de ses « clientes » :

 

« Je m’adresse à toutes les femmes qui n’ont pas un travail ou un logement, aux femmes victimes de violences, à celles qui se trouvent dans cette spirale qu’est l’esclavage moderne, à celles qui se retrouvent en précarité momentanée et, plus généralement, à toutes les femmes que la vie n’a pas épargnées.

Pour ces femmes, en effet, prendre soin d’elles et se faire belles n’est plus une priorité. Les problèmes ne s’arrêtent pas à la sphère professionnelle, ils affectent également leur vie personnelle. La précarité ne se réduit pas à la pauvreté, elle se manifeste souvent dans l’instabilité et la rupture d’un parcours. L’implacable mécanisme de l’exclusion se met en marche. Or, qu’il soit question d’émancipation, de réinsertion ou de relation aux autres, un travail sur l’estime de soi est indispensable. »

 

Le salon travaille maintenant avec des associations ou des assistantes sociales qui leur envoient des femmes pour qui la coiffure, ou le manque de confiance en soi, peuvent être un frein à l’emploi.

Le Salon Joséphine, c’est 3 permanents et 30 bénévoles qui assurent, en plus de la coiffure et du maquillage, des services et soins périphériques (conseil en image, yoga, venue ponctuelle d’un dermatologue, d’une gynécologue, d’un sociologue…). Il y a même un prêt de vêtements et chaussures pour se présenter aux entretiens d’embauche ou autre événement exceptionnel. L’idée est de redonner confiance à ces femmes, de les accompagner à un moment de leur parcours social jusqu’à leur premier salaire.

 

Vue du salon : spacieux, clair, décoré avec goût et de belles choses.

 

Lucia dit que pour s’investir dans un tel projet, il faut être très égoïste. Car donner est un acte égoïste. On se fait plaisir sans le vouloir. Et on reçoit au centuple. Un simple regard. Un sentiment. Une étincelle dans les yeux. Comme cet enfant qui a appelé pour remercier : « Maman est venue me chercher à l’école. Elle était tellement belle que je ne l’ai pas reconnue. J’étais tellement fière d’elle ! Merci ! »

Lucia dit aussi qu’on n’est pas obligé de faire de grandes choses pour faire des choses grandioses.

 

Fleurs, photos, beau mobilier… Tout contribue à créer une atmosphère privilégiée, protectrice, apaisante et valorisante.


Ce qui surprend dans ce projet, c’est l’accueil qui lui est réservé par les médias mais surtout l’implication d’autant de personnes. Tout comme l’équipe du salon de la Goutte-d’Or et ses bénévoles, de nombreux partenaires financiers et des mécènes de compétences vont bien au-delà de leurs engagements. Ils suivent le projet, s’y investissent. Comme L’Oréal qui a fait un don à vie de produits.

Cet engouement s’explique sans doute parce que les résultats de l’action de l’association Joséphine sont immédiats. Et qu’elle apporte du rêve. Comme avec une baguette magique.

Pour moi, la véritable raison est que ce projet est porté par une femme comme Lucia Iraci. Par son charisme, sa volonté, sa conviction et ses valeurs, Lucia réussit à mobiliser autour d’elle autant d’énergie et de compétences pour viabiliser le projet.

Leur rêve à tous ? Que des Salons Joséphine fleurissent partout en France et dans le monde où il y a des femmes qui ont oublié les notions d’estime de soi et de beauté. D’ailleurs, le deuxième Salon Joséphine a ouvert à Tours le 3 septembre 2012.

Lucia a un autre rêve, plus grand encore : que les femmes aient les mêmes droits que les hommes dans la société, qu’elles soient au même rang qu’eux. Pour construire ensemble, et à égalité, un monde plus juste et plus humain. Et plus beau.

 


Crédit photo : Didier Parizy

Cet article est tir du numro 17 du webzine https://www.lesmotsdesanges.com/V2 imagin par 4ine et ses invits
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