Art du faire, savoir être au monde
En allant au musée Mandet de Riom (63) qui offre toujours de superbes expositions autour des arts décoratifs et du design, derrière le titre de l’exposition « Made in Mali, Cheick Diallo designer », je pensais découvrir une œuvre de design originale et colorée. Mais j’ai été autant bluffée par les œuvres que par leur créateur : un homme qui pense un design ingénieux et novateur. À mille lieues du design élitiste, trop souvent inutile, et déconnecté des réalités de notre monde – de la nécessité de repenser notre consommation en termes de respect des matériaux.
La première fois que j’ai vu Cheick Diallo, c’était au musée Dapper où il était interviewé par RFI pendant la présentation presse de la nouvelle exposition collective, « Design en Afrique ». Il disait : « le design c’est penser des objets pour l’homme d’aujourd’hui et de demain ». Et il fit référence à un dicton africain : « Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens ». Le ton était donné.
Tout ceci n’est pas (que) du design.
« C’est une histoire d’hommes et de rencontres, qui mène à une méthode de travail, qui aboutit à un processus. Et enfin à un objet. C’est un hommage aux mains, pas aux machines. Et à la débrouillardise. »
Cheick Diallo
Cheick Diallo a toujours voulu un design qui tienne debout, qui tienne compte de tous les paramètres. Il ne fait pas du folklore.
Dès la sortie de l’école, Cheick Diallo choisit de s’auto-éditer pour ne pas avoir à dépendre de ceux qui font la pluie et le beau temps dans la profession et trouvent son nom « trop africain ». Il va créer pour ceux qui s’intéressent à ce qu’il fait et ce qu’il est.
Et il choisit de le faire en Afrique (au Mali pour commencer) où on peut utiliser les ressources humaines, naturelles, matérielles et techniques à moindre coût. Et fabriquer dans des délais record (il faut 3 mois et beaucoup d’argent pour réaliser un prototype en Europe alors qu’il peut être réalisé en 3 semaines en Afrique). Ces conditions permettent à Cheick Diallo de travailler sur plusieurs projets à la fois et d’expérimenter. Un véritable luxe.

Cheick Diallo dans son atelier.
Les pièces qu’il produit sont réalisées sur place, à la main, par des artisans qu’il rémunère.
Ce designer est un entrepreneur qui contribue à l’économie de son pays, et son design est indissociable d’un engagement citoyen.
Faire du design en Afrique implique d’assumer deux responsabilités : préserver la culture locale et faire « fonctionner la machine » comme un chef d’entreprise parce qu’on collabore avec des personnes qui ont besoin de travailler pour survivre, dont le but est de rester debout.
En Afrique on fait, un point c’est tout, avec ce qu’il y a, sans attendre d’avoir les moyens de se « débrouiller ».
Cheick Diallo décloisonne le système traditionnel des artisans, un véritable système de castes très hiérarchisé : il crée des liens et des passerelles, fait travailler ensemble sur un même projet diverses corporations.
Il s’adapte à leurs façons de travailler aussi. Pour réaliser ses prototypes, le carnet de croquis, illisible pour les artisans, a été remplacé par un patron à l’échelle 1 dessiné à la craie sur une feuille de bois (qui a déjà beaucoup servi). Pour la conception, il s’adapte à l’artisan et pas le contraire. Et il accepte que l’objet se modifie jour après jour en intégrant l’opinion des passants (car l’atelier est dans la rue).

Aux forges de Médine (Bamako, Mali).
Avec modestie et pragmatisme, Cheick Diallo se plie aux conditions locales. Il ressuscite les matériaux pauvres qu’il trouve au Mali.
Et il croise les techniques, les transpose : il va teindre le cuir selon les techniques textiles. Pour le tressage du nylon sur métal utilisé pour le Siège du gardien, il va choisir de nouvelles formes, une finition soignée, et être attentif au rôle des couleurs.

Fauteuil Woo, métal et fils de nylon, fils enrobés (détail).
« Faire du neuf avec du vieux », cette philosophie qui s’applique à l’Afrique tout entière, il se l’approprie, notamment avec le métal. Par exemple avec des canettes écrasées par les roues des voitures, il conçoit l’ossature d’une ligne de mobilier qui s’avère très solide.

Montage de la chaise Poto-Poto.
Les choses apparemment devenues inutiles changent de rôle et d’aspect grâce à l’habileté de mains et d’imaginations qui ne se découragent pas. Il suffit de regarder, d’observer le monde qui nous entoure et celui dont nous nous entourons.
Son rôle de designer et d’Africain responsable ne s’arrête pas là. Mandaté par l’organisme USAID (agence américaine pour le développement international au Mali), il aide les entreprises et les artisans à améliorer leurs produits tant sur le plan technique que stylistique et à exporter.
Pour compenser l’absence d’écoles de design, il encadre régulièrement des ateliers de design et organise des workshops.

Fauteuil Mandet, métal et fils de nylon, fils enrobés.
Son rêve ? Ce qu’il aimerait être dans 10-20 ans ? Ce n’est pas de devenir célèbre mais de créer une école, un centre, un lieu d’échanges sur le design en Afrique où on manque cruellement de centres de ressources et d’information.
Et là, il serait le vieux papy qui passe son temps à bavarder, à échanger, et qui continue d’être vivant dans le métier.

Fauteuil Dibi, acier et fils de nylon, fils tressés. Cheick Diallo est un coloriste hors pair.
Les expositions en cours :
Made in Mali. Cheick Diallo. Rétrospective. Jusqu’au 30 décembre 2012 au musée Mandet (Riom, 63).
Design en Afrique. S’asseoir, se coucher et rêver. Exposition collective. Jusqu’au 14 juillet 2013 au musée Dapper (Paris).
En 1993, il est lauréat du concours du musée des Arts décoratifs de Paris avec sa chaise "Rivale" et son lampadaire "Ifen". En 2006, il reçoit le 1er prix du SIDIM (Salon international du design intérieur de Montréal).
Diallo est un créateur exposé dans le monde entier (New York, Canada, Afrique du Sud, Londres, Italie, Paris…). L'exposition au musée Mandet (Riom, 63), dont il rejoint les collections permanentes de design et d'arts de la table, montre près de vingt ans de son travail.
Cheick Diallo est également fondateur de l'ADA (Association des designers africains) qu'il représente en France.