Couleur, piment et sourire dans l’assiette de l’hôpital
Sarah est notre première invitée.
Sarah Mangu Mas est Ougandaise. Elle est arrivée en 1980 en France sans avoir pensé rester. Elle a une voix traînante et pleine de soleil. Elle est extrêmement posée et chaleureuse. On est tout de suite en confiance. Et en famille. Comme beaucoup d’Africains, elle parle plusieurs langues (l’anglais, le français qu’elle a appris ici, et trois langues africaines). En 1989, elle a monté avec une amie sa première association de Femmes médiatrices. Celle de Pantin voit le jour en 1993. Elles sont 12 maintenant à travailler dans l’association.
L’hôpital d’Avicenne, qui dans son service des maladies infectieuses (VIH, tuberculose, etc.) se trouve confronté à des malades qui perdent du poids faute de vouloir manger, entend parler d’elles et les contacte en 2000. Il faut un an pour mettre en place le projet avec l’administration, la psychologue, les diététiciennes et… la cuisine. Sarah obtient le feu vert pour une double action : tisser des liens avec les primo-arrivants sans famille, ni langue, ni connaissance de nos us, coutumes et nourriture. Avec ceux aussi qui sont ici sans famille ou avec mais qui n’ont pas de contact avec elle car ils leur cachent leur maladie. Les Femmes médiatrices vont donc leur parler dans leur langue. Du pays. Du temps. De tout. De rien. Pour oublier un peu la maladie. Pour refaire surface.
L’autre action est de leur cuisiner la cuisine qu’ils aiment. Celle de leur pays. Celle que l’on mange même quand on n’a pas faim. L’hôpital met à leur disposition une mini-cuisine équipée. Les consignes sont strictes : les règles d’hygiène et de conservation sont drastiques. Presque tous les produits sont fournis par l’hôpital. Elles peuvent amener de l’extérieur les légumes du pays (le manioc, le gobo…). Les épices et le piment. Les patients aimeraient bien manger du Capitaine aussi mais cela n’est pas possible (le poisson comme la viande sont obligatoirement fournis par la cuisine de l’hôpital).
Elles sont trois pour mener cette action à Avicenne. Sarah est secondée par Nora d’Algérie et Véro de la République du Zaïre. À elles trois, c’est plein de langues et la cuisine de presque tout le continent africain. Elles s’occupent aussi parfois de patients d’Asie (Sri Lanka, Inde…) avec lesquels elles peuvent communiquer en anglais. Aujourd’hui, elles cuisinent pour 4 patients. Pour certains, elles vont cuisiner pendant des mois (les repas du midi en semaine). Pour d’autres, ce ne sera que pour quelques jours. Une fois les plats cuisinés, elles doivent les mettre par portions individuelles dans des barquettes plastiques sous film. Comme pour tous les autres produits de l’hôpital. Elles font en plus systématiquement une barquette témoin qu’elles stockent dans le frigo pour des contrôles éventuels. Ensuite, elles amènent elles-mêmes les repas aux patients. Avec les moins malades, elles rigolent pendant qu’ils mangent le poulet à la sauce pimentée. Après, Sarah va se sauver pour aller encore une fois plaider la cause de leur action, obtenir des subventions, participer aux autres actions à Avicenne où l’on a besoin de Femmes médiatrices.
Et toujours avec le sourire.
Merci Sarah.