Les Tarahumara (ou Rarámuri)
Ils sont tellement loin de nous. Par la géographie mais aussi par presque tout ce qui les concerne et les entoure. Ils n’ont a priori rien mais ils sont peut-être plus riches que nous. Riches de ce que nous ne savons plus toujours voir ou comprendre. Ou apprécier. Ou entendre.
Isabel est en licence d’ethnologie à l’École nationale d’anthropologie et d’histoire de Mexico. Elle a eu la chance, dans le cadre de ses études, de vivre une semaine avec une famille de l’ethnie Tarahumara ou Rarámuri (les Hommes aux pieds légers), dans l’État de Chihuahua au nord-ouest du Mexique. Elle nous fait partager cette formidable expérience.
Les Tarahumara (ou Rarámuri) sont un peuple d’agriculteurs. Ils habitent dans des hameaux qui regroupent des maisons (les rancherias) avec les champs de labour attenants. Ils vivent dans une région montagneuse formée de canyons. Les rudes conditions climatiques (30 à 40 °C en été, jusqu’à moins 10 °C en hiver) les ont conduits à vivre sur les hauteurs pendant la saison chaude et pluvieuse pour semer le maïs et à se réfugier dans les Barrancas en hiver où la végétation est tropicale. (La différence de température entre le haut et le bas est approximativement de 10 °C.)
Les Rarámuri cultivent principalement le maïs, mais aussi le haricot noir, un peu de blé et quelques légumes comme les courges ou le piment. Dans les vallées, ils cultivent des fruits et légumes comme la papaye, la banane ou l’avocat. Le travail des champs se fait collectivement. Tout le monde y participe selon le mode d’organisation appelé la tesgüinada (le tesgüino est une boisson à base de maïs fermenté). La famille qui veut labourer son terrain invite ses voisins pour l’aider et faire la fête.
Les hommes travaillent aux champs (ils n’ont pas d’outils à part les machettes). Certains s’exilent en ville ou parfois y vont pour s’employer comme saisonniers dans la construction ou l’agriculture. Les femmes s’occupent d’aller chercher l’eau, de préparer la nourriture (moudre le maïs sur le métate en pierre volcanique), tisser des paniers et des couvertures pour les vendre, faire de la poterie et coudre leurs vêtements, qui sont entièrement faits à la main (le couteau faisant office de ciseaux). Dans les villes du Nord du Mexique, on voit des femmes Rarámuri vendre leur artisanat dans la rue, mendier ou se prostituer.
L’arrivée du narcotrafic est en train de précipiter les bouleversements de leur fragile équilibre : les cultures du pavot et de la marihuana se substituent à celle du maïs. Les Tarahumara sont ainsi obligés d’acheter leur aliment de base. L’arrivée d’argent entraîne aussi l’apparition de la civilisation avec tous ses fléaux, notamment la production de déchets que l’on voit jetés n’importe où.
Les enfants gardent les chèvres à partir de 7 ou 8 ans. Ils sont scolarisés à partir de 6 ans, ce qui les oblige à faire de longues marches par les sentiers de montagne pour rejoindre l’école la plus proche. Les vieux ramassent le bois et aident aux tâches les moins pénibles.
Leur nourriture est essentiellement à base de tortillas (galette de maïs épaisse), de frijoles (haricots noirs ou rouges), et de chile (piment). La viande (de chèvre ou de mouton) est consommée à l’occasion des fêtes uniquement et en petites quantités. Les bébés sont allaités pendant un an environ. Ils mangent ensuite la même nourriture que les adultes.
Les Rarámuri habitent sur des terres communautaires. En fait, ce sont des réserves, même si au Mexique ce terme n’existe pas légalement. Chaque famille a droit à une parcelle pour la maison, le champ et les trojes (greniers à céréales). Un hectare environ pour la famille d’Isabel.
Pas d’eau courante ni d’électricité. Il faut marcher environ 10 min pour aller chercher l’eau.
Leurs maisons sont construites en adobe (briques de terre), avec le toit en aluminium. Il fait sombre et frais à l’intérieur. Comme aménagement, il y a une base en bois qui fait office de lit ou de siège. Ils dorment sur des petates (nattes). Pour s’asseoir, certains disposent d’un ou deux petits tabourets très bas, d’autres utilisent une bassine renversée qui pourra aussi éventuellement servir de table. Ils rangent leurs habits dans des sacs à patates, mangent à la main sans assiette et boivent dans des verres en plastique. Aucune décoration, à part un petit bout de miroir qui traîne sur le bord de la seule petite fenêtre de la maison.
Les femmes refont leurs tresses une fois par jour ou tous les deux jours à l’aide d’un peigne en plastique. Les quelques bijoux qu’elles portent sont des colliers ou bracelets en perles de verre de couleurs. Certaines ont des boucles en or avec des pierres précieuses.
Ce qui a le plus impressionné Isabel chez les Rarámuri, c’est leur douceur naturelle et leur patience face aux événements. Même quand ils attendent la pluie pour les récoltes et que des nuages se forment puis repartent pour plusieurs jours, ils ne s’énervent pas. Ils attendent en toute sérénité. Ils ne sont ni impatients ni énervés. Chaque jour, les événements arrivent sans heure précise (ils n’ont pas de montre). Il y a une sorte de quiétude et de certitude que les choses arrivent par elles-mêmes (c’est une notion difficile à expliquer car elle est inconcevable chez nous).
« La vie rythme leur propre vie. »
Elle est également passionnée de photographie... et de pâtisserie.