Miroir d’un autre monde
C’est l’été dernier à la bibliothèque de Pantin que j’ai rencontré Michel de Mota.
Il était en train de finaliser l’accrochage de son exposition. Ou plutôt de leur exposition. Des œuvres à vous couper le souffle. Michel, pourtant débordé par les préparatifs, a pris le temps de tout m’expliquer : les œuvres, leurs auteurs, son rôle. J’ai eu envie d’en savoir plus et d’aller les voir sur leur lieu de travail.
Michel de Mota est instituteur spécialisé à l’IMP (Institut médico-pédagogique) de Pantin.
L’IMP, fondé et géré par une association de parents, accueille 72 enfants de 3 à 16 ans, présentant un déficit d’acquisition lié soit à des troubles de la personnalité, soit à une affection biologique ou congénitale à retentissement mental.
L’IMP propose à chacun de ces enfants des soins et une éducation spécialisée, sans rupture avec sa famille (les enfants rentrent chez eux tous les soirs et les week-ends), dans un cadre de vie stimulant afin de lui permettre une meilleure insertion au regard de ses potentialités, en vue de sa future intégration sociale.
Michel, qui peint lui-même, a créé un atelier de peinture dans l’Institut il y a une dizaine d’années. Il est ouvert à 5 enfants du groupe des grands (13-15 ans) qui y participent une fois par semaine, le jeudi. Il conduit cet atelier avec Nicole, l’infirmière, qui s’intéresse comme lui à la peinture.
Michel dit que l’expression spontanée de ces enfants est souvent limitée à une représentation stéréotypée. C’est qu’elle est soumise à la répétition de ce qui fait souffrir, elle est la traduction de leur symptôme. Dépasser cette répétition et leur permettre d’accéder au potentiel de richesse qui les habite, tel est le but de cet atelier. Aussi l’effet de groupe aide à libérer les potentialités.
Il est arrivé que certains enfants qui participent à l’atelier aillent jusqu’à dessiner ou peindre tous les jours : ils ont trouvé dans la peinture un mode d’expression qui leur manquait. Ici chacun peut développer son projet au travers des nombreuses activités proposées (danse, théâtre, musique, modelage, peinture, équitation, piscine, etc.).
La peinture leur permet de parler d’eux. En dessinant, les enfants se découvrent.
Par discrétion, nous ne citerons pas les prénoms des enfants et ne donnerons que des initiales.
La séance de ce jeudi 14 juin est un peu différente de d’habitude. Elle sera un peu écourtée. Moins concentrée. Parce que je suis là et qu’ils ne me connaissent pas. Parce J. attend sa maman qui a un entretien avec la directrice. Parce qu’aussi il y a du bruit : les fenêtres sont ouvertes, et les enfants de l’école d’à côté répètent (bruyamment) leur concert de fin d’année.
Parce qu’aussi c’est la fin de l’année et qu’on ne donne plus de consignes.
Mais I., A., J., O. et L. vont quand même, comme tous les jeudis, peindre.
Et, en fin de séance, tous s’assoient et sont invités à s’exprimer sur les travaux qui viennent d’être réalisés, ce qui se fait sans jugement de valeur mais en posant une double interrogation :
Qu’est-ce que cela représente ? Qu’est-ce que cela m’évoque ?
Dans la mesure du possible, chaque enfant est invité à trouver un titre (un mot, quelques mots ou parfois une phrase) qui puisse résumer ce qu’il a exprimé.
Michel demande à J. : Où es-tu dans le travail ? Il faut que tu sois dans le travail.
J. se lève et va se rajouter sur le dessin.
Michel : Tu t’es représenté tout petit, pourquoi ?
J. : J’aime bien.
Michel demande ensuite ce qu’il a voulu représenter. J. raconte une histoire de cache-cache où l’on se perd.
Michel : Cela finit bien ?
J. : Pas bien.
Michel : C’est quoi pas bien ?
J. : C’est dormir toute la vie.
Michel : Et il n’y a pas moyen d’éviter cela ? Que pourrait-il se passer pour que cela finisse bien ?
J. : Il faudrait que le père vienne les chercher…
On va ensuite montrer une série d’œuvres faites tout au long de l’année qui ont été choisies pour faire partie de l’exposition. Elle a lieu tous les ans. L’été, à la bibliothèque de Pantin.
Pour Michel, c’est dans l’exposition, c’est-à-dire dans la rencontre entre le regard des visiteurs et leur peinture, que s’achève véritablement ce travail.
Merci à Michel pour nous avoir ouvert les portes de son lieu. De ce monde.