WEBZINE N° 6
Printemps-été 2008

WEBZINE N° 6
Printemps-été 2008
Le sculpteur de temps
rencontre
L’étendoir à linge d’Alice
cuisine
Errances 01
photo
1 + 1 = 400 ?
mystère
Oui
mot
Archives
édito
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Édito

Le numéro 6 des Mots des anges. Le numéro de printemps-été.

 

Qui couvre deux saisons cette fois-ci. Avec l’idée de revenir à un rythme plus soutenu à la rentrée…

Nous avons longé les bords de Marne en remontant le courant pour rencontrer un sculpteur de pierre philosophe. Pour la photo, Marie-Pierre nous l’a ramenée du désert du Wadi Rum en Jordanie. Et la recette, c’est un clin d’œil au monde merveilleux d’Alice. Il y a aussi le mot qui est tout petit et le mystère du saint-nectaire.

Bienvenue !


4ine
Conceptrice rédactrice

Rencontre avec des êtres extraordinaires

Il est de ces gens dont la rencontre vous ébranle. Par leur volonté et leur intelligence de l’autre. Par leur façon de voir la vie et de la vivre. Par leur engagement dans notre société.

Vous vous sentez grandis de les avoir approchés, regardés ou entendus. Leurs engagements sont pourtant modestes. Ils passent souvent même inaperçus. Ces êtres sont presque anonymes, mais uniquement pour ceux qui sont loin d’eux.
Nous avons voulu leur rendre hommage. Vous les faire rencontrer.

Le sculpteur de temps

 

Depuis 20 ans, Jacques Servières donne vie et surtout donne corps au Jardin de sculpture. Dans le vallon de Chessy-en-Brie, son unique atelier est un pré qui devient un chemin qui longe les bords de Marne.

 

 

Pour aller à sa rencontre, on peut prendre l’autoroute, mais je vous conseille de prendre votre temps. Gare de l’Est, on monte dans un train pour Lagny-sur-Oise. Et, ensuite, on longe les bords de Marne en remontant le courant. 40 min, nous avait-on dit. En fait, il faut compter beaucoup plus (je n’y reprendrai pas mes filles à qui j’avais parlé de 30 min…). Mais la Marne nous permet de nous préparer à la découverte. On se sent très loin de la ville et du bruit.

Et au détour d’une forêt, le Jardin jaillit. Tout tranquille. Des sculptures en calcaire d’assez grande taille. Faites avec des pierres de récupération. Au départ avec celles de l’ancien aqueduc de la Dhuys (bombardé en 1939) qui est juste à côté. Maintenant, avec celles du tablier du Pont Neuf qui vient d’être restauré. La pierre qui n’est pas de récupération est beaucoup trop chère (1 000 € le m3 sans compter le transport. Sachant qu’il faut 3 à 4 m3 pour une sculpture). Et elle n’a pas déjà une histoire.

 

 

Si on s’avance au bout du chemin, on aperçoit Jacques Servières dans son bleu de travail, assis dans son pliant, de dos et face à la sculpture qu’il a en chantier.

Aujourd’hui, il ne sculpte pas. Il peint. Des esquisses pour ses prochaines œuvres. En sirotant du thé de son thermos.

Nous allons dans la salle de réunion : deux troncs d’arbres creusés et couchés l’un en face de l’autre.

Jacques Servières nous raconte son Jardin. Sa sculpture.

Il dit que la sculpture, cela ne s’apprend pas, ce n’est pas un art savant. On devient sculpteur au fur et à mesure de ses rencontres et de son propre cheminement. C’est un médium si on a quelque chose à dire.

 

 

C’est un art difficile, très physique, qui demande de la force. C’est aussi difficile parce qu’on est toujours face à un dilemme : il faut faire des choix (on garde ou on enlève) et il ne faut pas hésiter à rentrer dans la matière. Comme la vie en fait. La sculpture est l’expression de l’être intérieur.

Il sculpte été comme hiver, les mercredis, samedis et dimanches. Deux sculptures par an. Il y en a une quarantaine maintenant, les dernières de plus en plus épurées et toutes en courbes. Immédiates.

Et chaque nouvelle sculpture est placée un peu plus en amont de la rivière. Comme s’il voulait inconsciemment remonter le courant pour aller à la source. Par contre, quand il regarde toutes ses sculptures, il peut remonter son propre temps et reconnaître dans chacune les événements qui ont jalonné sa construction. Ce sont des repères de sa propre vie, de sa propre histoire.

Jacques Servières travaille toujours sur trois pièces en même temps : celle qu’il est en train de faire, celle qu’il est en train de finir et celle qu’il va faire. Il aime aller de l’une à l’autre.

 

Une partie des photos a été prise par Aymée Nakasato (12 ans).

 


Jacques Servières

Cet article est tiré du numéro 6 du webzine https://www.lesmotsdesanges.com/V2 imaginé par 4ine et ses invités

Cuisine imaginaire

Un cuisinier de métier ou un amateur éclairé nous livre une de ses recettes. Mais la condition est qu’elle soit inventée. Qu’on ne puisse pas la trouver dans les livres.

L’étendoir à linge d’Alice

 

Pour participer aux 3es Rencontres Cuisine, Art et Gastronomie, Laurent Maire a composé une recette merveilleuse.

À mi-chemin entre le monde magique de Lewis Caroll et le théâtre d’ombres. Avec bien sûr aussi une vraie surprise en bouche. Une surprise multiple.

 

 

Au sujet du poireau translucide, c’est en observant un morceau de poireau collé à la pâte d’une flamiche qui cuisait au four que le concept de la bouchée était lancé. Sa transparence fut source d’inspiration.

Les poireaux diaphanes

On utilise principalement les verts de poireaux que l’on nettoie et que l’on blanchit dans une eau bouillante additionnée de bicarbonate de sodium (5 g pour un litre d’eau) afin que la couleur du légume soit bien franche. Même traitement pour des lamelles fines de poivrons multicolores et de carottes (l’utilisation d’un économe permet d’obtenir un bon résultat). Une fois les légumes ramollis, on les rafraîchit.

Pour le poireau, à l’aide du dos d’un couteau, on élimine le gel de protéines contenu dans la cellulose en grattant légèrement, puis on éponge l’excès d’eau avec du papier absorbant. À l’aide d’un pinceau, on badigeonne les légumes avec de l’huile d’olive. Cela fonctionne également avec d’autres types d’huile. J’ai fait l’essai avec de l’huile vierge de germe de blé pensant que sa couleur jaune orangé amènerait une variante de couleur intéressante mais la différence ne fut que gustative.

On étuve les légumes, placés sur du papier sulfurisé siliconé, dans un four entre 60 ou 70 degrés (vérification au thermomètre électronique). Il faut toutefois éviter d’aller au-delà de 70 degrés car le légume brunit, et l’effet de transparence s’annule.

On prend soin de retourner et de badigeonner régulièrement la préparation avec l’huile tout au long de la cuisson. Environ 4 h de cuisson suffisent à rendre l’ensemble des légumes translucides et croustillants. Voilà pour la méthode…

Pour la composition proprement dite de la bouchée légumes : préalablement, on met à tremper à froid des feuilles d’herbes aromatiques dans de l’huile, on obtient ainsi un effet de transparence (le temps varie selon la plante : quelques minutes pour le basilic, plusieurs heures pour la marjolaine). On place de l’encre de seiche dans une pipette. On réserve quelques pistils de safran. En plus des légumes, tous ces éléments vont donc servir à confectionner les bouchées (l’élément principal restant le poireau). Certaines sont tressées, pour d’autres, le poireau est replié sur lui-même, ce qui permet de capturer d’autres ingrédients à l’intérieur (safran, poivrons…).

On crée ainsi des montages rappelant les techniques de collage artistique. À ce moment de la préparation, il n’y a pas de règle précise pour assembler les ingrédients entre eux. Les formes peuvent varier, les contrastes de couleurs également… selon l’inspiration, au gré de son imagination.

On étuve l’ensemble de la composition en appliquant la méthode de cuisson présentée plus haut.

 

(Gros plan) à gauche : une feuille de poireau enfermant une lamelle de poivrons rouge, vert et jaune ; à droite : une feuille de poireau enfermant 3 feuilles de basilic et une lamelle de carotte.

 

(Gros plan) à gauche : quatre lamelles de poireau tressées avec des lamelles de carotte, poivrons rouge et jaune ; à droite : une feuille de poireau enfermant 3 lignes d’encre de seiche.

 

(Gros plan) à gauche : une feuille de poireau enfermant une lamelle de carotte et de poivron, une feuille de basilic, de l’encre de seiche et un filet de safran ; au centre : une feuille de poireau enfermant des pistils de safran ; à droite : à vous de deviner…

 

Pour la bouchée libre, Laurent a imaginé une friandise…

 

Une friandise effervescente et pétillante à l’orange, la bergamote et la fleur d’oranger.

 

Une préparation effervescente et pétillante est capturée dans une gélule rouge transparente, elle-même prise dans une gelée à la fleur d’oranger. Puis emballée comme un gros bonbon.

 


Laurent Maire

Laurent Maire est chef de cuisine à domicile.

Aux 3es Rencontres art, science et gastronomie (parrainées par Hervé This et Pierre Gagnaire), il a été lauréat dans la catégorie « artistique » et a reçu le Prix spécial du jury pour l'originalité de son concept.

Cet article est tiré du numéro 6 du webzine https://www.lesmotsdesanges.com/V2 imaginé par 4ine et ses invités

Ma photo préférée

La règle du jeu : un(e) photographe de métier nous présente parmi toutes ses créations celle qui a sa préférence.
Et il (elle) nous explique pourquoi c’est celle-ci plutôt qu’une autre.

Errances 01

 

Marie a choisi une photo prise il y a deux ans dans le désert du Wadi Rum en Jordanie. Une photo prise vite, en fin de journée car le soleil se couche si rapidement dans ce désert. Avec un campement bédouin au loin.

 

 

Dans la série Errances, Marie hésitait entre celle du campement au loin et celle de la tente bleue, un endroit maintenant abandonné mais fabriqué avec la poésie innée des bédouins.

Ce qu’aime Marie dans ces photos, c’est ce côté calme, poétique, inébranlable et intemporel qui contraste tellement avec beaucoup de nos vies de tous les jours à New York, Paris, etc.

Celle du campement au loin a été prise du haut d’une montagne face à un campement bédouin aménagé pour accueillir des touristes.

 

« La caravane de chameaux ressemble à une colonne de fourmis et c’est ce qui m’a plu. Encore une fois cette notion de l’immensité et de relativité de l’être humain dans tout ça… »

 

Enfin, pour les plus curieux, quelques lignes sur Wadi Rum :

« Wadi Rum is one of the most stunning desertscape epitomizing the romance of the desert. Lying 300 km southwest of Amman, between Petra and Aqaba, its uniquely shaped massive mountains eroded by the wind rise vertically out of the pink desert sand, which separate one dark mass from another in a magnificent desert scenery of strange breathtaking beauty, with towering cliffs of weathered stone.

Wadi Rum is also best known because of its connection with the enigmatic British officer T. E. Lawrence (based here during the Great Arab Revolt of 1917-18) and as the setting for the film that carried his name Lawrence of Arabia. »

 


Marie Sauvaitre

Marie Sauvaitre is a French photographer, now residing in NYC.

She obtained her MFA Photography from the NY School of Visual Arts in 2005.

Her fine art work has been shown in various galleries in New York City, New York State, California and Jordan.

Cet article est tiré du numéro 6 du webzine https://www.lesmotsdesanges.com/V2 imaginé par 4ine et ses invités

Petit mystère de la Nature

On l’a certainement appris à l’école. Ou par un grand-parent plus patient que les autres. Mais on a un peu oublié.

Et on s’est senti trop grand pour oser demander de nous l’expliquer encore une fois.
Nous avons décidé de prendre notre courage à deux mains pour reposer la question et savoir enfin. Une bonne fois pour toutes.

1 + 1 = 400 ?

 

Sixième petit mystère :
« les fromages »

Comment se fait-il qu’avec deux ingrédients, ou presque, on puisse faire autant de fromages différents ?

 

claudebernardfromages.jpg

(Presque) toute l’Auvergne est dans le pré-montage réalisé par Claude Bernard (Maman).

 

Sans parler de toutes les gammes de goûts, odeurs, couleurs, textures qui existent pour un même fromage. Le saint-nectaire, par exemple, divise notre famille en plusieurs clans : il y a ceux qui l’aiment bien fort et gras, d’autres crémeux (voire coulant) mais pas trop fort, d’autres enfin plutôt ferme et sec avec son inimitable goût de noisette.

Mélipone, qui aime les choses bien ordonnées, va essayer de nous débroussailler ce mystère.

Du fromage de qualité avec n’importe quel lait ?

« Maître corbeau, sur un arbre perché, tenait en son bec un fromage… ». Ainsi commençait cette célèbre fable de La Fontaine dont on connaît trop l’excellence pour penser qu’il ait choisi cet aliment par hasard. En effet, c’est une certitude, le fromage figure parmi les premiers aliments de l’homme : sans doute pour assurer durablement la croissance des humains après leur sevrage, il fallait alors pouvoir conserver la plupart des constituants nobles du lait dont la production chez les mammifères domestiques était éminemment périssable et saisonnière.

Compte tenu de cette très longue histoire, il n’est pas étonnant que le plateau de fromages, notamment de la France, soit abondamment garni (il y en aurait plus de 400 variétés).

Nous n’aborderons ici que quelques considérations sur les qualités sensorielles (goût, odeur, couleur et texture) des fromages qui arrivent dans notre assiette.

La qualité sensorielle des fromages dépend d’abord des caractéristiques chimiques et microbiologiques de la matière première, c’est-à-dire du lait issu de la traite, puis en second lieu de la technologie utilisée pour fabriquer le fromage.

La composition de la matière première va elle-même dépendre des caractéristiques de l’animal (espèce, race, avancement de la lactation, état sanitaire notamment de la mamelle), de son alimentation très variable selon les lieux et la saison, et enfin de l’hygiène de la traite (colonisation par des microbes plus ou moins désirables).
Grâce aux progrès de la technologie laitière, les possibilités de modification du lait au moment de sa transformation en fromage sont devenues beaucoup plus diversifiées et ont donné un moment l’impression qu’il était possible d’atteindre une bonne qualité fromagère quelle que soit la matière première mise en œuvre.

 

gerard_cambon_fromages

© Gérard Cambon.

 

Aujourd’hui, sous la pression des consommateurs, les facteurs en amont de la transformation, et notamment ceux concernant l’alimentation des animaux, sont de plus en plus pris en compte par la filière de production et cela grâce aux résultats d’études récentes.

En voici 3 exemples :

La couleur
La couleur des pâtes fromagères dépend de la teneur en pigments caroténoïdes du lait, elle-même fonction de celle des fourrages. Ainsi l’herbe pâturée au printemps ou ensilée donne des pâtes jaunes alors que les foins et les ensilages de maïs, plus pauvres en carotène, donnent des pâtes nettement plus pâles.

La texture
L’alimentation peut accroître indirectement la texture des fromages en modifiant la teneur en acides gras insaturés du lait. Ainsi des essais récents ont montré que l’herbe, quelle que soit sa forme d’utilisation (pâturage, foin, ensilage), donnait des pâtes plus souples que l’ensilage de maïs.

L’arôme et la saveur

Les études portant sur les effets de la composition botanique des prairies notamment d’altitude ont mis en évidence des améliorations de flaveur et ou de texture d’autant plus importantes que la composition floristique des prairies était plus diversifiée et notamment riche en dicotylédones (la plupart des fleurs de prairies naturelles – voir photo – appartiennent à cette famille botanique).

Mais on a découvert avec surprise que contrairement à ce que l’on croyait, les terpènes, substances aromatiques des plantes qui passent dans le lait et qui sont plus concentrées dans les flores complexes, n’étaient pas en concentration suffisante pour modifier le goût.

Ces résultats montrent l’existence d’un lien entre les caractéristiques sensorielles des fromages et quelques-unes des composantes du terroir. Mais ils sont encore très partiels et difficilement généralisables car ils ont été souvent obtenus sans modifier les autres paramètres (études menées pour un type d’animal et pour une technologie fromagère donnée).

C’est donc un vaste champ expérimental qui s’ouvre notamment parce que les différentes technologies fromagères n’ont pas toutes la même aptitude à faire exprimer dans les fromages la qualité initiale des laits.

 


Mélipone

Chercheur honoraire en nutrition animale (ruminants).

La retraite lui laisse peu de temps pour écrire pour Les mots des anges...

Cet article est tiré du numéro 6 du webzine https://www.lesmotsdesanges.com/V2 imaginé par 4ine et ses invités

Mot & merveilles

Un mot plutôt qu’un autre. Pourquoi un mot nous parle-t-il plus qu’un autre ? Pourquoi nous interpelle-t-il ?
Est-ce sa musicalité, son sens ou son histoire qui nous le font préférer à tous les autres ?

Deux invité(e)s se prêtent au jeu, l’un(e) pour l’écrire, l’autre pour l’illustrer, mais sans se concerter !

Oui

 

Géraldine Chouard. Quand je l’ai contactée, je ne la connaissais pas encore beaucoup mais je savais qu’elle aimait les mots. J’étais sûre qu’elle aurait envie de participer et saurait réagir vite. Son choix ne m’a pas étonné : « Oui ».

Il y a tant d’histoires dans ce si petit mot !

 

OUI_2015_elise_Pallot

« Oui », par Élise Pallot.
Élise a souhaité refaire le dessin qu’elle avait fait en 2008 (la magie du web de pouvoir modifier ainsi le passé…). Car cette année, comme elle se marie, le Oui a d’autant plus de sens pour elle.

 


Elise Pallot

Élise est une jeune graphiste/DA fort gourmande.

 

Oui : tout juste trois lettres, que des voyelles, zéro consonne. Un petit mot de rien qui peut changer tout. À quoi tiennent la force du oui, son zèle infini, son charme épanoui ?

Au « ni oui ni non », je savais bien ne pas dire non, avec des nullement, pas le moins du monde et autre que nenni, désuet mais efficace. Pour éviter le oui, il y avait certes la panoplie inverse des volontiers, des peut-être et des pourquoi pas, mais d’une façon ou d’une autre, je finissais par dire oui, au détour parfois d’un je crois bien que oui pourtant bien amorcé. Aussitôt prononcé, le oui fatal en entraînait deux autres : « t’as-dit-oui-t’as-dit-oui » et la partie était finie. Perdre parce qu’on avait dit oui me paraissait aussi injuste que de devoir jouer à la balle en silence, comme dans la Partie simple qu’Anne Sylvestre chantait à l’époque, dans les années 1960 : « Partie simple / Sans bouger / Sans rire et sans parler ». Bouger, rire et parler : autant de manières de dire oui, d’être dans le oui, comme on est dans le vrai.

À cette même période, la poupée de Michel Polnareff passait ses journées à dire « non non non non non non ». À quoi, l’histoire ne le disait pas, mais il était troublant d’entendre que celui à qui elle disait non aurait « donné sa vie / pour qu’elle dise oui ». Une vie pour un oui, le jeu devait en valoir la chandelle. Mais hélas, la poupée est passée à côté, tout simplement parce que « personne ne lui avait jamais appris / qu’on pouvait dire oui ». On en vit comme on en meurt, d’un oui. Depuis cette terrifiante histoire, l’expression pour un oui pour un non a perdu son sens commun. Il y a le oui et il y a le non, comme il y a le ying et le yang, le Nord et le Sud, le salé et le sucré, le soleil et les nuages. C’est comme ça.

Parmi ceux qui m’ont appris le sens du mot oui, il faut rendre à Oui-Oui ce qui est à Oui-Oui. Ce joyeux pantin de bois portait un bonnet bleu surmonté d’un grelot qui sonnait à chaque hochement de tête. Au pays des jouets, Oui-Oui savait dire oui, il passait même son temps à ça. Tout lui allait, la vie était belle, il ne se fâchait jamais, pas même contre Mademoiselle Chatounette qui avait pourtant si mauvais caractère (encore une qui n’avait pas appris à dire oui), et il déambulait avec bonheur au volant de son fringant taxi rouge et jaune, sans craindre d’être verbalisé par le gendarme pourtant pas commode de Miniville.

Depuis Oui-Oui, le oui est resté associé aux couleurs primaires, et il me semble encore entendre tinter son bonnet à grelots à chaque oui qui compte. Ce n’est qu’une trentaine d’années plus tard, que j’ai appris, dans un Early Learning Center de Londres (un pays des jouets « à-soi-tout-seul »), qu’en version originale, le Oui-Oui d’Enid Blyton s’appelait Noddy, du verbe nod qui signifie « hocher la tête » (opiner du bonnet) et non pas, comme le mot aurait pu le laisser entendre, dire non. Comble de désorientation, une fois devenu Noddy, Oui-Oui roulait à gauche. Mais oui.

Sans savoir comment ni pourquoi, le mot « oui-oui » en est venu à désigner, dans le babil familial, le zizi (qu’il soit « de garçon » ou « de fille »). Pas le moindre rapport avec Oui-Oui (il faudrait peut-être chercher) et le terme est devenu tout à fait naturel, au point qu’un de mes enfants s’est un jour étonné, en découvrant d’anciens volumes de la Bibliothèque rose, qu’un personnage puisse porter un nom pareil…

Ces derniers temps, il semblerait que le oui soit devenu à la mode, une forme de « lâcher-prise », une manière d’être en phase avec soi-même et son environnement. Dire oui, c’est accepter ce qu’on a, adhérer à ce qui est, et rester po-si-tif.

Les années ont passé et on en arrive parfois à se demander si la poupée de Polnareff a fini par changer d’avis pour connaître enfin l’amen inouï du oui.


Géraldine Chouard

Géraldine Chouard enseigne l’anglais à l’université Paris-Dauphine.

Son champ est celui de la culture américaine, des arts visuels en particulier (photographie, peinture, patchwork).

Par ailleurs, elle dit « oui » à la chanson française et à la couleur.

Cet article est tiré du numéro 6 du webzine https://www.lesmotsdesanges.com/V2 imaginé par 4ine et ses invités