Al-warda
Dixième petit mystère :
« pourquoi y a-t-il des roses au Maroc ? »
Mélipone, notre spécialiste Nature, n’étant jamais allé au Maroc (on n’y pêche pas la baleine), nous avons préféré lui trouver un(e) remplaçant(e) pour ce numéro spécial. Stéphanie (que vous allez découvrir dans la rubrique Mot et merveilles) a pensé à une passionnée du Maroc qui y vient régulièrement depuis dix ans, rencontrée elle aussi par la Maison de la Photographie : Joan Rundo. Joan a souhaité écrire sur la rose. Je lui ai proposé de nous expliquer comment les roses pouvaient pousser si loin au Sud.
Chantée par les poètes de tous les pays et de tous les temps, de la Chine à l’Espagne, de l’Angleterre à la Turquie, la rose est depuis toujours le symbole de la beauté et de l’amour.
En arabe, la rose se dit al-warda.
Au Maroc où le climat peut être extrême, entre les cimes de l’Atlas et les douars isolés par le froid et la neige d’hiver ou les sables du désert, la rose a pourtant trouvé des lieux où elle est traitée comme une reine.
Le village de Kalâat Mgouna, niché entre la montagne et le désert, est son royaume. Elle en a fait un petit paradis, un avant-goût peut-être du verger foisonnant promis aux croyants dans les versets du Livre sacré, le Coran.
Le mois de mai est le mois de la cueillette. Et c’est au lever du soleil, quand la teneur en huile essentielle est la plus importante, que tous les villageois y participent : on cueille aussi bien les délicats boutons (cueillis entiers), que les pétales. Et il faut beaucoup de mains pour les cueillir : il faut 400 roses pour faire 1 kg et 5 000 kg de roses pour 1 kg d’huile essentielle !
Toutes ces roses embaument l’air, et le village se pare de la couleur des pétales. Étendues pendant quelques heures en plein soleil, on les met ensuite à l’ombre pour sécher, avec un courant d’air naturel pour les rafraîchir. Avec une fourche, les hommes les retournent délicatement, et les fleurs virevoltent dans l’air, comme un nuage de papillons odorants.
Les roses de Kalâat Mgouna sont très prisées des grandes maisons de parfumerie pour leur essence. Avec, les bonnes années, une récolte de 4 000 tonnes, le Maroc est juste derrière la Bulgarie et la Turquie en termes de production.
Les roses qui restent à Kalâat Mgouna seront distillées dans les familles en utilisant des alambics de cuivre, suivant un procédé ancien pour obtenir l’eau de rose.
Ce produit est essentiel dans les rituels de beauté des femmes du Maroc et bien au-delà des frontières. Grâce à ses multiples propriétés, les roses transforment l’eau pure en une lotion astringente, pour tamponner le visage et préserver la beauté. L’eau de rose est également mélangée au ghassoul, l’argile utilisée comme masque de beauté pour les cheveux et la peau, ou bien on en imbibe le merwad, le petit bâton utilisé pour appliquer le khôl. En compresse, l’eau de rose apaise les yeux fatigués.
Les boutons de rose, qui emplissent les échoppes dans les souks d’épices au printemps, sont aussi utilisés, avec le myrte, le clou de girofle, le souchet rond et l’écorce de lentisque pour parfumer le henné que l’on applique sur les cheveux pour leur donner de riches reflets rouges.
Les roses au Maroc sont également très présentes dans le patrimoine de médecine populaire et traditionnel. Avec les boutons de rose, les mamans depuis toujours préparent des décoctions contre les maux d’estomac des petits ; mâchés, les pétales peuvent soulager du mal de dents, et l’eau de rose peut être employée en compresse pour traiter la fièvre, les migraines et les insolations ou en gouttes pour traiter les otites. Il semblerait même qu’une cuillère à boire deux fois par jour calme la nervosité et l’anxiété.
Mais la rose au Maroc pousse aussi dans les villes : les jardins des riads, maisons traditionnelles bâties autour d’un patio, les accueillent très souvent. La reine des fleurs est très à l’aise dans ces havres de paix qui, traditionnellement, ont quatre plates-bandes avec une fontaine ou un petit bassin au centre, suivant le schéma du jardin du Paradis abreuvé par quatre fleuves, de miel, de lait, d’eau très pure, et de vin qui n’enivre point. Ces patios ombragés, où les seuls bruits sont le piaillement des oiseaux et le murmure de l’eau de la fontaine, perpétuent l’époque d’al-Andalus, et les villes joyaux comme Cordoue, Séville et le palais de l’Alhambra de Grenade, chef-d’œuvre architectonique qui incarne le raffinement mauresque tracé dans la pierre et les plantes.
De cette époque sont les vers du poète de Cordoue,
Ibn Zaydun (1004-1070) :Je me remémore notre vie à Az-Zahra, tout entière,
L’horizon était pur, et limpide la face de la terre,
Le vent du crépuscule errait avec fébrilité
Comme s’il languissait par compassion et par pitié
Et le verger, qui brillait sous la rosée de sourire,
Au matin de leur vie, les roses scintillaient,
Et l’éclat du matin en fut tout réveillé.
Mais revenons au Maroc, où la rose est arrivée, selon une légende, dans les sacoches des pèlerins de retour de La Mecque. Au cours du long et périlleux voyage de la péninsule arabique, on traversait l’Iran, la Syrie et la Turquie, pays où la rose fleurit en abondance. On dit aussi que, comme les fleurs d’oranger, la rose est née des larmes du Prophète !
La rose est la fleur romantique par excellence et, au Maroc, dans le langage magique des fleurs, la rose du Tafilalt « apporte l’amour en courant ».
Dans le temps – pas si lointain que cela – selon un recueil de « pratiques des harems marocains », on croyait au pouvoir magique d’un mélange d’eau de rose, de sucre et d’amandes pilées comme un remède fort efficace contre l’impuissance virile…
Les roses font également partie de la longue tradition de l’hospitalité marocaine : des invités sont accueillis avec de l’eau de rose dans les élégants mrachat, les lance-parfums aux cols élancés pour rafraîchir et souhaiter la bienvenue.
Elle fait de la traduction et dit qu’elle voyage entre les langues. Elle a étudié l’arabe et écrit (en italien) des livres de cuisine arabe et juive. Joan vit en Italie.