Des mariés en 1967
Cette fois-ci, plus que la photographie, c’est ce qu’on en a fait qui m’a intéressée.
Régine Razavet, lors d’une résidence artistique, a réuni 22 témoins qui ont choisi chacun une photo de mariés de l’année 1967 (une amie lui ayant remis une boîte de tirages qui avait été jetée). Et de ces œuvres de témoins d’un événement d’il y a quarante-sept ans dont ils n’ont de clé qu’une photo, elle en a fait une exposition et bientôt un livre.
J’ai particulièrement aimé l’évocation d’Yan Stéfan.
Sa version dactylographiée :
La photographie atteste – de façon à peu près certaine – que ce jour-là, à cet endroit-là, un événement, autrement dit quelque fait non reproductible, a bien eu lieu. Mais le simple acte de la regarder et de la commenter ne me met pas pour autant dans la position de témoin. La vérité est que je ne peux rien dire de ces deux individus, en particulier. J’ajoute que leurs postures et leurs costumes, le décor, la lumière et le cadrage, bref, tout le formalisme de l’image ne m’aide d’aucune façon à entrer dans leur vie. Pour moi, ce ne sont que deux inconnus que l’Histoire n’a pas retenus. Ni roi, ni reine, ni savants ou criminels, ils ne me rappellent personne. Ce jour-là, à cet endroit-là, ils y étaient je n’en doute pas, mais moi, je n’ai rien vu, ni rien entendu. Et peut-être même, je n’étais pas né !
Si maintenant, partant de cette image, je me réfère à mon histoire personnelle, alors au mieux je raconte ma vie, en espérant que ça intéresse mes proches, mais au pire je prête, à cet homme et à cette femme, des sentiments et des pensées qu’ils n’avaient pas. Ou bien si, pour changer, je me réfère à des connaissances que j’ai ou que je pourrais acquérir, alors au mieux je donne à ce cliché un intérêt sociologique, mais au pire j’aligne des évidences, voire des paroles de comptoir. Je reprends une dernière fois et d’une autre façon : si, partant de cette image, je me réfère finalement à ma sensibilité artistique, alors au mieux je produis une analyse rigoureuse de critique ou d’historien d’art, le pire serait que je fasse étalage de ma vanité (quoique l’un aille rarement sans l’autre…). En fin de compte, quel que soit mon angle de vue, l’événement associé à cette image m’échappe.
La déception – et le paradoxe aussi ! – vient de ce que la photographie garde la mémoire d’un moment singulier, elle immortalise un couple, un jour et un endroit, mais de ce couple, de ce jour-là et de cet endroit-là, je ne peux rien dire ni faire partager, si ce n’est un ensemble de généralités. Voire de banalités…
Yan Stéfan, le 17 septembre 2013.
Depuis 1996, il développe de nombreux projets artistiques de spectacle vivant, en particulier des spectacles de conte.