Le chef Yves Camdeborde, portrait
Pour une fois, la démarche est venue du photographe. C’est Gérard Cambon qui m’a contactée et proposé sa photo. J’ai eu envie de le rencontrer dès que je l’ai vue. Elle est d’une telle force ! Et si l’on connaît un peu l’univers de la cuisine, d’une telle évidence !
En fait, Gérard n’a pas une mais deux photos préférées. Il va tout nous expliquer.
La première photo préférée
Cette histoire, c’est au départ un livre : Bistrots de Chefs à Paris.
Gérard Cambon était chargé des photos : pour chaque bistrot, le portait du chef et la photo de sa salle et d’un plat dont il livre la recette.
Pour Gérard, la rencontre de cet univers et surtout de ces hommes a été une véritable révélation :
« … J’ai une grande admiration pour les chefs cuisiniers que je considère comme des artistes. Leur quotidien est harassant, leurs horaires dignes d’une autre époque. Leur travail est au croisement de deux quêtes : une maîtrise technique irréprochable et une créativité de génie. Dans l’art, ce qui correspond pour moi le mieux à ce mélange de créativité et de maîtrise est, à mon avis, la peinture flamande du XVIIe siècle. Rembrandt, en particulier, m’a inspiré pour réaliser cette série de portraits. Souvent rabelaisiens, les chefs sont parfois irascibles et toujours préoccupés par un intérêt supérieur : les sens. Pour moi, ce sont des hommes d’exception dépositaires d’un savoir à la fois commun et secret. Chamanes d’une ère où les cultures s’influencent, ils font vivre notre patrimoine culturel au prix d’un engagement personnel considérable… »
Pour la prise de vue avec Yves Camdeborde, Gérard a dû l’attendre trois heures et faire la photo en cinq minutes. Mais avec un tel modèle, cela a suffi.
Et cette photo se distingue dans la série de portraits. Elle s’impose car il en impose.
Gérard aime le portrait. Parce qu’on est en prise avec l’Autre. Dans chaque rencontre, il y a des éléments qui se font au-delà du langage. Qui passent dans une gestuelle, un niveau de tension, d’attention. Gérard pense que sa photo est réussie quand il y retrouve l’émotion qu’il a eue dans la rencontre.
La deuxième photo préférée
Pour celle-ci, il faut remonter à plus longtemps. Gérard est encore un môme. L’anecdote est savoureuse :
« … J’ai rencontré la photographie à l’âge de 12 ans. J’ai tout de suite énormément aimé cet outil. J’ai réalisé, à cette époque, une photo à laquelle j’ai souvent repensé par la suite.
Désireux d’en faire mon métier, je suis allé voir le photographe du village d’à côté qui m’a dit : “Mon pauvre ! des photographes, dans vingt ans, il n’y en aura plus…” Alors, j’ai décidé de passer mon bac. Plus tard, j’ai fait une école de fromagerie puis de commerce. Une fois plongé dans le monde du travail, j’ai ressenti le besoin de devenir photographe professionnel.
J’ai ressorti l’hiver dernier cette photo des cartons et, comme je l’aimais bien, j’en ai fait ma carte de vœux. Ce qui m’a frappé, en la revoyant, c’est de voir la solidité de la composition et puis le souvenir d’avoir VU l’image, d’être allé chercher l’appareil et avoir cadré dans un élan instinctif et pur de toute hésitation… »
Il est aujourd’hui plus proche de l’univers de la haute gastronomie et tire régulièrement le portrait de célébrités ou de grands chefs pour les revues Gault&Millau, Figures, Le Chef, et les Éditions Déclic ou les Agences Opale et Sipa Press.
Passionné d’histoire, Gérard Cambon a eu l’idée d’aller à la rencontre des républicains espagnols. Après soixante ans de silence et d’oubli, il a voulu retrouver et regarder avec respect et sans complaisance ces hommes et ces femmes qui avaient rêvé d’un monde sans dictature et que l’on a enfermés dans des camps en France.
Ce travail sur le portrait a donné lieu à une exposition incroyable Portraits de la Retirada au camp de concentration de Rivesaltes en septembre 2007. L’exposition est devenue depuis itinérante.