Haïku
Au début, je pensais vous proposer des mots français dans un contexte déroutant : des mots en franponais. Le franponais, c’est l’utilisation de mots français pour leur sonorité, leur origine, leur exotisme, sans tenir compte de leur sens ou de leur contexte syntaxique. On en voit beaucoup comme enseignes de magasins et c’est, la plupart du temps, très drôle.
Puis j’ai pensé au mot kawaï qui se prononce KA WA Ï mais plus souvent KA WA ÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏÏ ! Cela se traduit par « mignon » et, pour les jeunes Japonaises, c’est un mot indispensable.
Mais je me suis dit que ces mots, finalement, ne traduisaient pas l’atmosphère de mon voyage, de ma déambulation. Haïku est devenu une évidence.
Extraits de Fourmis sans ombre. Le livre du haïku
anthologie-promenade par
Maurice Coyaud (1934-2015)
Éditions Phébus Libretto.
Description
« Les Haïkistes japonais notaient volontiers leurs petits poèmes – trois vers (cinq syllabes, puis sept, puis cinq), c’est tout – en marge du récit de leurs randonnées comme autant de pauses, de points de suspension.
Au tout début du XIe siècle, les lettrés nippons cultivaient déjà le Haïkaï (poèmes en vers libres). C’est à la fin du XVIIe que le haïku deviendra un genre parfaitement autonome […]
Cette poésie qui occupe si peu de place et qui occupe si légèrement sa place.
[…] Rien de plus que la saisie éphémère d’un instant : prêt à être oublié, à jamais inoubliable.
[…] Il s’agit simplement de dire. Avec le minimum de paroles. Mais surtout avec des paroles de peu.
[…] C’est une poésie qui ne demande qu’à respirer librement, en tenue de tous les jours, le long des chemins sans gloire – mais non sans secrets – de la vie quotidienne.
[…] C’est une poésie qui a les pieds sur terre et qui se moque de tout.
[…] Le haïku n’est porteur d’aucun message chiffré, les Japonais au contraire l’apprécient à la mesure de sa gratuité.
[…] Le haïku est aussi souvent irrespectueux, le ton est familier, il y a une connivence entre les humains et les autres créatures.
[…] Un seul impératif : toucher juste. Chaque mot doit atteindre le centre exact de la cible, choisie étroite à dessein.
[…] Cette brièveté dans l’expression, cet art de l’impromptu, nous le retrouvons chez les peintres chinois et japonais. La rapidité de pinceau est la vertu cardinale : quelques traits, jetés sur le papier avec une apparente désinvolture, suffisent à cerner l’image avec une miraculeuse précision. Là encore, il s’agit d’évoquer beaucoup en montrant peu, l’essentiel étant laissé au blanc de la page qui symbolise l’espace indéfiniment ouvert. »
Quelques haïkus (pour le plaisir…). Illustrés de photos glanées au gré de cette belle errance.
Dans la jarre d’eau flotte
Une fourmi
Sans ombreSeishi (né en 1901)
La rivière d’été
Passée à gué, quel bonheur
Savates à la main
Buson (1715-1783)
L’escargot n’accorde
Pas un regard
À l’œillet
Issa (1763-1827)
Sorties de la cage
Elles deviennent une à une, les lucioles
Des étoilesSeisensui (1884-?)
Un camélia
Tomba, tuant
Un taon
Sôseki (1865-1915)
Dans la gelée blanche du sentier
Épanoui oublié
Un pissenlit
Buson (1715-1783)
Sur les iris,
Collées
Des chiures de MilanBuson (1715-1783)
Sieste
La main cesse
De mouvoir l’éventail
Buson (1715-1783)
Verte grenouille
Tu viens te faire repeindre
La carcasse ?
Akutagawa Ryûnosuke
Même le lapin
Laisse pendre une oreille
Quelle chaleur !Akugatawa Ryûnosuke
Le chêne
Sa mine indifférente
Devant les cerisiers fleuris
Bashô (1644-1694)
La nuit s’approfondit
Dans l’eau des rizières
La voie lactée
Issa
Le foulard de la fillette
Trop bas sur ces yeux
Un charme fouBuson (1715-1783)
Quel est le con qui est allé
Pisser
Sur cette neige fraîche
Kikaku (1660-1707)
Photos © 4ine.