La voile à Jamestown
Denis Dailleux est revenu à la photo en se remémorant une phrase de Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke : « Avant toute chose, demandez-vous, à l’heure la plus tranquille de votre nuit : est-il nécessaire que j’écrive ? Creusez en vous-même en quête d’une réponse profonde. Et si elle devait être positive, si vous étiez fondé à répondre à cette question grave par un puissant et simple “je ne peux pas faire autrement”, construisez alors votre existence en fonction de cette nécessité. »
Et quand en 2009 il est parti au Ghana, c’est la découverte du livre de Paul Strand Ghana: an African Portrait qui a éveillé en lui cette envie d’ailleurs.
Au Ghana, contrairement au Caire où il a passé une dizaine d’années, la photo est pour lui ouverte sur le ciel, le rapport au corps y est très fort. Il y règne une liberté d’être incroyable.
La photo préférée de ce long travail au Ghana fait partie de celles qui donnent envie d’aller plus loin. Une image qui ouvre sur le Ghana, qui ne fait plus douter qu’on a choisi le bon lieu. Et toutes les suivantes seront évidentes, il ne suffira plus que de tirer le fil pour dérouler ces paysages sur les hommes et la mer.
C’est une des toutes premières photos prises là-bas. Lors du deuxième voyage. Denis y est arrivé avec Joseph, son assistant local, pour se sentir moins voyeur, plus légitime. Jamestown est un lieu minuscule, une toute petite plage d’Accra la capitale, et il s’est tout de suite senti happé, fasciné par ce lieu très populaire.
La photo a été prise lors de cette visite et ce qu’il a vu ce jour-là, il ne l’a plus jamais vu. Tout était en place pour faire LA photo. Pas besoin de mise en scène.
C’était en mai.
On voit une voile, certains parlent du Radeau de la Méduse. Mais c’est une illusion. La voile est en fait une bâche pour que les pêcheurs qui remaillent les filets soient protégés du soleil puissant. Et cette bâche est étonnante de beauté.
Denis a besoin à chaque projet de trouver l’éblouissement. Besoin de renaître à cette sensation d’enfance qu’il trouvait dans le jardin familial, serein, plein de fleurs. Son prochain projet procède aussi de cette volonté de retrouver l’enchantement. Il va aller photographier les baobabs au Burkina Faso.
Membre de lʼAgence VUʼ (Paris), il est représenté par la galerie Camera Obscura (Paris) et la Galerie 127 (Marrakech).
Avec la délicatesse qui le caractérise, il pratique une photographie apparemment calme, incroyablement exigeante, traversée par des doutes permanents et mue par lʼindispensable relation personnelle quʼil va entretenir avec ce – et ceux – quʼil va installer dans le carré de son appareil. Sa passion pour les gens, pour les autres, lʼa naturellement amené à développer le portrait comme mode de représentation privilégié de ceux qu'il avait envie, le désir dʼapprocher davantage.
Que ce soit au Caire avec laquelle il entretient une relation amoureuse, voire passionnelle, ou au Ghana, ses noirs et blancs au classicisme exemplaire et ses couleurs à la subtilité rare sont une alternative absolue à tous les clichés, culturels et touristiques, qui encombrent nos esprits.
Son travail a fait lʼobjet de plusieurs ouvrages dont Égypte : les martyrs de la révolution (Le Bec en l'air éditions) et est régulièrement exposé et publié dans la presse nationale et internationale. Il est lauréat de nombreux prestigieux prix dont le 2e prix du World Press Photo 2014, catégorie « Staged Portraits » pour sa série Mère et Fils.