WEBZINE N° 21
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Mot & merveilles

Un mot plutôt qu’un autre. Pourquoi un mot nous parle-t-il plus qu’un autre ? Pourquoi nous interpelle-t-il ?
Est-ce sa musicalité, son sens ou son histoire qui nous le font préférer à tous les autres ?

Deux invité(e)s se prêtent au jeu, l’un(e) pour l’écrire, l’autre pour l’illustrer, mais sans se concerter !

Abracadabra

L’exposition Pliure à la Fondation Calouste Gulbenkian en 2015 était un essai sur le livre et « la somme infinie de ses possibles » (Blanchot). Elle essayait de montrer comment l’espace du livre a pu provoquer l’art et continue à le faire.

C’est là que, dans une vitrine, je suis tombée sur le livre. Et sur le mot.

Le livre est un des exemplaires originaux de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert*. Et à la page ouverte, un triangle de lettres qui compose et décompose le mot : Abracadabra.

 

ABRACADABRA

 

Voyons ce qu’au XVIIIe siècle la magie nous disait déjà.

 

diderot_d'alembert-page ABRACADABRA

Page 114 de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

 

Voici recopié à l’identique le texte modernisé** d’un extrait de l’Encyclopédie :

« ABRACADABRA, parole magique qui étant répétée dans une certaine forme et un certain nombre de fois, est supposée avoir la vertu d’un charme pour guérir les fièvres, et pour prévenir d’autres maladies. Voyez Charme et Amulette.

D’autres écrivent ce mot ABRASADABRA car on le trouve ainsi figuré en caractères grecs abpakaΔabpa où le C est l’ancien z qui vaut S. Voici la manière dont doit être écrit ce mot mystérieux pour produire la prétendue vertu qu’on lui attribue.

Serenus Samonicus, ancien Médecin, sectateur de l’hérétique Basilide qui vivait dans le deuxième siècle, a composé un livre des préceptes de la Médecine en vers hexamètres, sous le titre De medecins pravo pretio parabili, où il marque ainsi la disposition et l’usage de ces caractères.

 

Inscribes chartae quod dicitur A b r a c a d a b r a
Saepius et subter, sed detrahe summam,
Et magis atque magis desint elementa figuris,
Singula quae semper rapies et caetera figes,
Donec in angustum redigatur littera conum ;
His lino nexis collum redimere memento :
Talialanguentis conducent vincula cello,
Lethalesque abingent (miranda
potentia) morbos.

 

Wendelin, Scaliger, Saumaise, et le P. Kircher se sont donné beaucoup de peine pour découvrir le sens de ce mot. Delrio en parle, mais en passant, comme d’une formule connue en magie et qu’au reste il n’entreprend point d’expliquer. Ce que l’on peut dire de plus vraisemblable, c’est que Serenus qui suivait les superstitions magiques de Basilide, forma le mot A B R A C A D A B R A SUR CELUI D’ABRSAC ou abrasax, et s’en servit comme d’un préservatif ou d’un remède infaillible contre les fièvres. Voyez Abrasax.

Quant aux vertus attribuées à cette amulette, le siècle où nous vivons est trop éclairé pour qu’il soit nécessaire d’avertir que tout cela est une chimère. »

 

diderot_d'alembert-Full page

Pages 114 et 115 de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.

 

Crédit : Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers / collection BA-FCG.

* L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est une encyclopédie française, éditée de 1751 à 1772 sous la direction de Diderot et d’Alembert.

** Voici les commentaires de mon gentil traducteur du texte du XVIIIe en français modernisé. Je n’ai pu résister à l’envie de vous les faire lire :

« Parisienne très chère,

Voici, en pièce jointe, ma version du texte modernisé. Claudie l’a lue avant que je te l’envoie.

Cependant, n’ayant pas trouvé d’érudit en langue morte, tu n’y trouveras pas de traduction pour le latin. En contrepartie, j’ai été surpris de lire dans cette explication du mot “abracadabra” une façon différente d’écrire ce mot à cause de son influence grecque. En effet ayant fait un peu de grec (non, non, non, je ne dis pas que j’ai pratiqué les Grecs)  P équivaut au R français, le triangle (delta) équivaut au D français et le K équivaut bien au C français… mais au C dur. Il me semble donc que le mot ne devrait pas changer d’orthographe et s’écrirait bien ABRACADABRA en transcription grec-français. Maintenant il se peut que l’ancien français ait fait une différence jusqu’au VIIIe siècle entre K = C dur et K = Z = S, ça je ne saurais le dire.

Pour le reste, tu as dû t’apercevoir que l’espèce de “f sans barre et sans boucle” est remplacée par le s et que les esperluettes utilisées ne sont que celles correspondantes au “et”.

Avec toutes mes sympathiques bises méridionales. »

 

Cet article est tir du numro 21 du webzine https://www.lesmotsdesanges.com/V2 imagin par 4ine et ses invits
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