Appel
Comme l’écrivain est débordé, c’est Marie-Christine qui m’a dépannée. Texte totalement improvisé sur un coin de comptoir. Ce côté un peu brouillon, urgent et immédiat, et fait par amitié, lui en donne tout son prix et sa saveur.
Alice, sa grande fille, une belle plante de 21 ans, l’a illustré d’une façon très émouvante et personnelle.
« Ce sont deux photos de maman jeune (sans doute prises par papa ??) avec une phrase de moi. Je trouve la photo plus simple qu’un dessin et puis je suis plus inspirée avec une photo là, maintenant. »
APPEL
Quand je t’appelle et que tu ne réponds pas, autant de messages d’amour que tu ne recevras pas.
Quand je fais l’appel et que le caïd de la classe n’est pas là (oh la bonne surprise !) mais que le souffre-douleur n’est pas là non plus… Où sont-ils ? Ensemble ? Comme un loup planqué dans sa bergerie ?
L’appel, celui resté dans toutes les mémoires, de la forêt. Animal.
Pourquoi appelle-t-on ?
Pour se donner des forces ou pour donner l’alerte ? Cri salvateur qui monte de poumons froissés comme du papier à force de crier, l’air qui se dévide et laisse sans voix…
« A » pour ouvrir la bouche et aspirer comme les chimères des temples bouddhistes, le premier élan vers la vie et l’engloutir.
« P » pour expirer…
Vous avez remarqué ? A-P : c’est une respiration, « a » pour inspirer, « p » pour expirer…
Appel murmuré, dit, crié… radiophonique ou télévisuel… Un appel pour la libération de, pour les droits de…, appel pour défendre les…, pour la famine au…, pour les guerres, les prisonniers… Appel au secours… Appel de souffrance qui expire…
Moi, j’appelle la mère d’Alexis, son fils a encore fait des siennes. Tiens, elle passe dans le couloir. En trottinette… Tiens, c’est la première fois que je vois une mère d’élève en trottinette. « Ta mère en trottinette ! » On se balance ça à la récré ! Mais là c’est du live ! Et si je l’appelle, répondra-t-elle ? Ou mon appel se perdra-t-il dans le brouhaha des voix, les sinuosités du couloir, le vent de la vitesse de la trottinette ?
« Je vous appelle pour », mots très officieux qui permettent de demander quelque chose, un entretien, un travail, une erreur à rattraper, « je vous appelle pour… », une manière d’excuse ou de condamnation. S’excuser de respirer bien sûr, et de vivre, mais aussi faire preuve de révérence « je vous appelle pour… ».
Et toi, si je t’appelle, c’est sans « pour », c’est juste un message d’amour mais depuis que j’y pense, la sonnerie retentit sans que tu décroches.
Après tout, un appel n’appelle pas de réponse, n’est-ce pas ?, c’est juste un point de vie, un point de départ qui se perd dans le cyberespace, les téléphonies mobiles ou pas, l’horizon sans fin d’un cri dans le foisonnement synergique des antennes et des radars du paysage urbain où personne ne répond. Un appel, de toute façon, on ne l’attend pas et rarement on l’entend mais, si cela arrive ?
Alors là, c’est le début d’une autre histoire…
Elle enseigne le français au collège et a le virus du théâtre qu’elle ne manque jamais, contre vents et marées, de transmettre à ses élèves.