Oui
Géraldine Chouard. Quand je l’ai contactée, je ne la connaissais pas encore beaucoup mais je savais qu’elle aimait les mots. J’étais sûre qu’elle aurait envie de participer et saurait réagir vite. Son choix ne m’a pas étonné : « Oui ».
Il y a tant d’histoires dans ce si petit mot !
Oui : tout juste trois lettres, que des voyelles, zéro consonne. Un petit mot de rien qui peut changer tout. À quoi tiennent la force du oui, son zèle infini, son charme épanoui ?
Au « ni oui ni non », je savais bien ne pas dire non, avec des nullement, pas le moins du monde et autre que nenni, désuet mais efficace. Pour éviter le oui, il y avait certes la panoplie inverse des volontiers, des peut-être et des pourquoi pas, mais d’une façon ou d’une autre, je finissais par dire oui, au détour parfois d’un je crois bien que oui pourtant bien amorcé. Aussitôt prononcé, le oui fatal en entraînait deux autres : « t’as-dit-oui-t’as-dit-oui » et la partie était finie. Perdre parce qu’on avait dit oui me paraissait aussi injuste que de devoir jouer à la balle en silence, comme dans la Partie simple qu’Anne Sylvestre chantait à l’époque, dans les années 1960 : « Partie simple / Sans bouger / Sans rire et sans parler ». Bouger, rire et parler : autant de manières de dire oui, d’être dans le oui, comme on est dans le vrai.
À cette même période, la poupée de Michel Polnareff passait ses journées à dire « non non non non non non ». À quoi, l’histoire ne le disait pas, mais il était troublant d’entendre que celui à qui elle disait non aurait « donné sa vie / pour qu’elle dise oui ». Une vie pour un oui, le jeu devait en valoir la chandelle. Mais hélas, la poupée est passée à côté, tout simplement parce que « personne ne lui avait jamais appris / qu’on pouvait dire oui ». On en vit comme on en meurt, d’un oui. Depuis cette terrifiante histoire, l’expression pour un oui pour un non a perdu son sens commun. Il y a le oui et il y a le non, comme il y a le ying et le yang, le Nord et le Sud, le salé et le sucré, le soleil et les nuages. C’est comme ça.
Parmi ceux qui m’ont appris le sens du mot oui, il faut rendre à Oui-Oui ce qui est à Oui-Oui. Ce joyeux pantin de bois portait un bonnet bleu surmonté d’un grelot qui sonnait à chaque hochement de tête. Au pays des jouets, Oui-Oui savait dire oui, il passait même son temps à ça. Tout lui allait, la vie était belle, il ne se fâchait jamais, pas même contre Mademoiselle Chatounette qui avait pourtant si mauvais caractère (encore une qui n’avait pas appris à dire oui), et il déambulait avec bonheur au volant de son fringant taxi rouge et jaune, sans craindre d’être verbalisé par le gendarme pourtant pas commode de Miniville.
Depuis Oui-Oui, le oui est resté associé aux couleurs primaires, et il me semble encore entendre tinter son bonnet à grelots à chaque oui qui compte. Ce n’est qu’une trentaine d’années plus tard, que j’ai appris, dans un Early Learning Center de Londres (un pays des jouets « à-soi-tout-seul »), qu’en version originale, le Oui-Oui d’Enid Blyton s’appelait Noddy, du verbe nod qui signifie « hocher la tête » (opiner du bonnet) et non pas, comme le mot aurait pu le laisser entendre, dire non. Comble de désorientation, une fois devenu Noddy, Oui-Oui roulait à gauche. Mais oui.
Sans savoir comment ni pourquoi, le mot « oui-oui » en est venu à désigner, dans le babil familial, le zizi (qu’il soit « de garçon » ou « de fille »). Pas le moindre rapport avec Oui-Oui (il faudrait peut-être chercher) et le terme est devenu tout à fait naturel, au point qu’un de mes enfants s’est un jour étonné, en découvrant d’anciens volumes de la Bibliothèque rose, qu’un personnage puisse porter un nom pareil…
Ces derniers temps, il semblerait que le oui soit devenu à la mode, une forme de « lâcher-prise », une manière d’être en phase avec soi-même et son environnement. Dire oui, c’est accepter ce qu’on a, adhérer à ce qui est, et rester po-si-tif.
Les années ont passé et on en arrive parfois à se demander si la poupée de Polnareff a fini par changer d’avis pour connaître enfin l’amen inouï du oui.
Son champ est celui de la culture américaine, des arts visuels en particulier (photographie, peinture, patchwork).
Par ailleurs, elle dit « oui » à la chanson française et à la couleur.