WEBZINE N° 8
Printemps 2009
Un toit pour le Sahel
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Œuf au plat renversens et chamboulement de légumes
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L’inconnue de la gare d’Alexandrie
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Tout n’est pas noir ou blanc
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Tout a commencé par un punch...
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Mot & merveilles

Un mot plutôt qu’un autre. Pourquoi un mot nous parle-t-il plus qu’un autre ? Pourquoi nous interpelle-t-il ?
Est-ce sa musicalité, son sens ou son histoire qui nous le font préférer à tous les autres ?

Deux invité(e)s se prêtent au jeu, l’un(e) pour l’écrire, l’autre pour l’illustrer, mais sans se concerter !

Tout a commencé par un punch...

 

Cela faisait bien deux ans qu’Yvon me parlait de son projet de mot mais il avait l’air si compliqué que je n’étais pas sûre qu’il aboutisse un jour. Rien de grave, nous avons tout notre temps. Or, la candidate pour le prochain mot étant partie escalader le Pain de sucre de Rio, je suis revenue en urgence vers lui. Voici sa réponse.

 

« Très chère rédactrice,

Vu le niveau de votre barr… lubr… rubrique, ma muse s’est sentie un peu ridicule. Mais vu l’urgence de la situation, j’ai pensé à autre chose qui nous est arrivé il y a quelques jours, disons quelques semaines, en fait, il y a un peu plus d’un mois.

Nous avions été invités, tous les trois, plus trois autres chez deux encore. Des amis d’amis qui recevaient des amis et donc nous, puisque nous étions devenus des amis. L’invitation avait été reçue avec grande méfiance car une condition y était assortie. Probablement une nouvelle pratique parisienne : il s’agissait dans ce cas précis d’écrire sur un mot donné. Hormis les hôtes, chacun en aparté cherchait une excuse pour décliner l’offre. Tous ces provinciaux effarouchés ne furent finalement convaincus que par la promesse d’un punch…

L’esprit de chacun ainsi dompté par les subtils charmes du punch suivi d’un tajine et une pastilla se plia facilement au jeu. Merveilleuse alchimie du boire et du manger qui métamorphose l’invité en écrivain. L’espace d’un moment, sur cette colline des abords de Marseille, le rhum et la cuisine exotique ont commandé aux plumes (vulgaires stylos à bille). Et voilà le travail fait et joliment fait dans la joie et la bonne humeur.

Je vous laisse user de votre indulgence pour lire les résultats de cette soirée pas comme les autres. Et peut-être deviner, qui, derrière ces mots, s’est fort amusé.

Comme quoi la boisson et la bonne nourriture sont d’excellentes formes de pédagogie. »

 

Pour cette fois, parmi les mots des invités à cette fameuse soirée joints à la lettre d’Yvon, je n’en ai retenu que trois. À déguster, avec ou sans punch.

Et c’est trois beautés, dont deux inconditionnelles fans d’Yvon (la troisième ne l’ayant pas encore rencontré), qui nous les ont illustrés.

Melanie_Nakasato_Zanzibar

« Zanzibar », illustré par Mélanie Nakasato, 15 ans.

 

 

 

ZANZIBAR

André vient de fêter ses 70 ans. En famille.

Assis sur le banc du hall de l’aéroport de Roissy, il réfléchit. De temps en temps, faire un point sur sa vie, cela se fait. D’autres le font en tout cas. Lui, il ne s’est pas souvent accordé ce luxe ou ces atermoiements. Ça dépend du point de vue, de la philosophie.

André, lui, il a toujours vécu plus que pensé. Dès 17 ans, il s’embarquait sur un cargo, pour voir le monde. Et il en a vu du pays, des choses, et pas que des jolies. Il y a laissé sa jeunesse, sa force d’adulte entre les cales des cargos, chaudes, les contacts avec les autres marins, les tatouages d’un jour, les amours d’une heure dans les grands bordels du monde : Caracas, Manille… il a sillonné les mers du Sud, l’océan Pacifique, franchi plusieurs fois la ligne des Tropiques, surmonté le cap Horn, essuyé avaries et ouragans… s’il prenait le temps de fermer les yeux, il reverrait tout cela. Mais, il n’est pas comme cela André. Sa vie doit se consumer, comme une mèche sans retour. Pourtant à 36 ans, il y en a une qui l’a sidéré, transformé dans un autre métal. Il est passé du vif-argent à l’acier, robuste et stable. Il avait presque tout vu, les ports, les hommes, les femmes, ses propres vices. Il y avait peu de zones qu’il n’avait pas foulées. Zanzibar manquait à son palmarès. Et pourtant, ce nom mythique l’avait toujours fait rêver, pour ses essences, pour son histoire, ses femmes superbes possédant à la fois la finesse asiatique, la sensualité de l’Afrique, la liberté du vent des mers, la paix des gens des îles. Oui, Zanzibar lui manquait ; mais pas comme un trophée, ni une case à cocher. Zanzibar, c’était autre chose.

Et pourtant, cette destination, il l’avait oubliée pour elle, elle qui habitait tout simplement le village où il était né. Il s’était sédentarisé, un retour aux sources. Il le savait, lui, ce n’était qu’un couvercle sur son feu intérieur. Celui qui poussera toujours les chèvres de monsieur Seguin à fuir le pré pour la colline et le loup. Mais, elle, c’était autre chose, un amour comme dans les livres, loin de son éphémère quotidien. Elle lui a donné trois enfants qui, eux-mêmes, lui ont laissé sept petits-enfants. Une vie heureuse, quoi !

Sauf qu’elle est partie trop tôt, juste à sa retraite, le laissant seul avec ses souvenirs et une famille à assumer. Voici dix ans qu’il gère sa vie ainsi, pour les autres. Alors, quand pour son anniversaire des 70 ans, tous se sont cotisés pour lui offrir un voyage à Zanzibar, il a accepté, pour boucler la boucle.

Et là, aujourd’hui, à Roissy, il attend l’avion pour rejoindre l’océan Indien. Les minutes s’écoulent, en attendant de rejoindre ses valises dans l’avion. Il pense, il revisite sa vie, ses images, ses souvenirs, il en a sublimé tant. Le matériel n’a plus de place.

C’est la deuxième fois que l’hôtesse appelle son nom. Il vient de décider, il ne se lèvera pas du siège du hall. Un rêve, ça ne se tue pas. Même pour faire plaisir à ses proches.

C’est ça la leçon de sa vie de nomade.

Le premier invité à cette fameuse soirée

 

 

Aymee_Nakasato_voyage

« Voyage », illustré par Aymée Nakasato, 13 ans.

 

 

 

VOYAGE

Un jour, chemin faisant, je rencontrai un billet. Pas n’importe lequel, car en matière de billets, il y en a des tas : il y a des billets de banque, des billets qui font leur cinéma, des billets sans nom qui permettent de coucher dehors pourvu qu’ils soient de logement… En fait, c’était un billet acheté certainement au rabais car c’était un billet à bas taux. Ce bateau, je le pris donc sur le bout de la rue du quai…

Le départ fut difficile pour moi car je comptais sur cette traversée pour écrire, écrire. Mais la première constatation fut qu’on avait levé l’ancre… Comment écrire sans Encre ? La seconde constatation fut que le billet était à prix si réduit que la destination n’y était même pas notée… ??

Je partis faire le tour de mon « Nouveau Monde ».
Je rencontrais un homme que je pris pour un ami. Je lui demandais :
– Ami.
– Non ! Ali, me répondit-il.
– Ali, donc…
– Non ! Je m’appelle Ali Abibi.
– Oui ! Bon ! Alias Bibi, dis-moi connais-tu notre destination ?
– Non ! La seule chose que je sais, c’est que nous sommes sur un dromadaire.
– Hein ! Un dromadaire ? Qu’est-ce que tu racontes ?
– Ben oui ! N’as-tu pas remarqué que nous sommes sur un vaisseau du désert ? Nous avons quitté la mer à peine sortis de son ventre. Mais, quant à la destination, il faut trouver le Sage.
Et Pouiff ! Il disparut.
– Abandonné sur le pont d’Avignon…
– Quoi d’Avignon ?!?
– Non, non ! Vous ne rêvez pas. C’est bien le pont d’Avignon. Ça c’est la faute au Capitaine.
– Qui es-tu toi ?
– Je suis la Mousse !
– La Mousse ?!?
– Oui ! La Mousse. Il y en a toujours sur un vaisseau.
– Ah bon ?!
– Oui ! Car un vaisseau doit faire des gains et avec ces gains, alors, on peut se payer une petite mousse. Par contre, un vaisseau sans gains ne peut arriver à ses fins et sans fin point de salut !
Et Pouiff ! Il, euh… elle disparut.

J’avais le moral à zéro, peut-être même sous la ligne de flottaison. Et là ! Coup de pot. Je tombe, tout au fond, sur un vieil ermite, un de ces sages qui comprennent tout sans qu’on leur dise et qui croient qu’on a tout compris alors qu’ils n’ont rien dit. Bref, il pense que c’est TTC (toute traduction comprise). Le seul mot qu’il me dit c’est : « YAGE ».

Je suis surpris et je m’interroge. D’ailleurs, je choisis de l’interroger.

– Quoi « Y’A GE » ?
– Mon ami avec mon esprit monte-en-l’air, tu trouveras la voie.
Sur ce, il se mit à hurler : « MONTE LÀ D’SSUS » …

Je m’enfuis en courant le long de l’échelle de coupée… Allo ! Non ! Ne coupez pas… Non ici le rabbin de… Pas le temps d’écouter, ni même d’entendre.
Je monte
Je monte
Je monte LÀ D’SSUS (comme il dit)
Et là, stupeur,
Je découvre la destination de ces instants.
Là, fait renversant, je vois YAGE…
Ceci fut la chute de cette banale histoire.

Le deuxième invité à cette fameuse soirée

 

lena_Momus_reve

« Rêve », illustré par Léna Momus, bientôt 12 ans.

 

 

 

LE RÊVE

Je vais vous raconter le rêve du papillon.

La montagne était haute et mille escaliers conduisaient au sommet. L’ascension était lente et la chaleur violente. Un peu de bleu de son col haut teintait la base de son cou. Dans la forêt, de cris de singes et d’arbres hauts, le soleil était au zénith, Équilibre du jour, méridienne éphémère.

Zhuangzi (Tchouang-Tseu) s’est assis. L’ombre se pose en taches sur sa robe bleue. La mousse ourle la pierre qui retient le ruisseau. Un battement de paupières efface la réalité. Zhuangzi dort. Il dort, mais il n’a pas deux trous rouges au côté droit, car c’est une autre histoire. L’air du soir le réveille mais il ne saura jamais affirmer l’énigme de son rêve. Est-il Zhuangzi qui a rêvé qu’il était un papillon ou un papillon qui a fait ce rêve étrange d’être un homme appelé Zhuangzi ?

Fait à la maison de la colline après deux verres de punch et une pastilla et pour servir ce que de droit.

La troisième invitée à cette fameuse soirée

 


Yves Baratier

Yvon dit « La plume au vent ».

Cet article est tir du numro 8 du webzine https://www.lesmotsdesanges.com/V2 imagin par 4ine et ses invits
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