Vocation
C’est un livre (Miss Charity de Marie-Aude Murail), d’aucuns diraient un pavé, qui m’a entraînée dans cette aventure. Un livre « coup de cœur du libraire », déniché dans la belle librairie du Parc de La Villette. Un livre édité par L’école des loisirs, un éditeur pour les pas très grands normalement. Mais quand c’est un livre magnifique, on peut le lire à tous les âges, non ?
Et j’ai voulu chercher l’auteur pour le mot de ce numéro. Mot qui lui est venu très vite : Vocation.
Pour l’illustrer, Emako San a été d’une incroyable générosité : 8 dessins avec des légendes en proverbes / jeux de mots (en français s’il vous plaît).
V O C A T I O N :
les 8 lettres du mot illustrées par 8 dessins merveilleux.
Depuis quelques années, elle fait quand elle en a le temps des « livres d’images ».
Elle a remporté plusieurs prix prestigieux au Japon avec ses illustrations :
– Special prize au 29th NISSAN Children’s storybook and picture book Grand Prix en 2013.
– Excellent prize au 25th NISSAN Children’s storybook and picture book Grand Prix en 2009.
– Excellent prize au 24th NISSAN Children’s storybook and picture book Grand Prix en 2008.
VOCATION par Marie-Aude Murail
« Pourquoi vous êtes devenue écrivain ? » Chaque fois que je vais à la rencontre de mon public, je n’y coupe pas. « Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ? » Dans une même journée, je peux faire quatre réponses différentes. Laconique avec les CE2 : « J’écris pour être lue » ; implacable avec les CM2 : « Mon père écrit, ma mère écrit, ma sœur écrit, mon frère écrit, ma belle-sœur écrit, ma nièce écrit. Je fais quoi ? Pharmacienne ? » ; poétique avec les cinquièmes : « Je croyais choisir et j’étais choisi(e) » (Aragon) ; insondable avec les troisièmes : « On s’imagine que la création est un trop-plein qui se déverse et jamais que c’est un manque qu’on cherche à remplir. Moi, je n’arrivais pas à toucher les autres, j’étais comme dans le conte La jeune fille sans mains. Je me suis aperçue que je pouvais toucher les autres avec les mots. »
Mais j’ai encore d’autres cartouches. Le lendemain, et pour ne pas lasser mon accompagnatrice, je peux servir la version bad guy : « Mon éducation m’avait laissé croire que seuls les hommes avaient le droit de créer et ma petite sœur m’a prouvé le contraire en se faisant publier très jeune, et son premier roman, Escalier C, a eu beaucoup de succès, on en a fait un film. Je ne pouvais plus la voir en peinture. De rage, j’ai écrit mon premier roman. La jalousie, c’est de l’essence dans votre moteur. » Ou la version petite fille modèle : « Pour maman, il y avait Dieu et juste au-dessous, il y avait les artistes. Je voulais que maman m’aime. Je ne pouvais pas faire Dieu. J’ai fait écrivain. »
Un auditoire agité aura droit à une saynète. Je leur mime nos jeux d’enfants, je fais parler nos animaux en peluche, je montre les enfants Murail transformant la chaise en cheval ou en luge, et je conclus : « Ce n’est pas forcément nécessaire d’enfermer les enfants dans un placard pour en faire des écrivains, mais ça peut aider. »
L’écriture donna une consistance à mes jeux d’enfants. Comme me dit un jour mon petit garçon Benjamin qui passait sa vie déguisé tantôt en mousquetaire tantôt en Goldorak : « Je ne me regarde pas trop dans la glace, parce que je vois qui je suis. » Le jeu ne fait illusion à l’enfant que par instants, avec l’écriture, comme le dit Sartre dans Les mots : « Je crus avoir ancré mes rêves dans le monde. »
Elle publie depuis vingt-cinq ans. Elle a plus de quatre-vingt-dix titres à son actif. Des contes, des feuilletons, des nouvelles, des essais, des récits. Et des romans d’amour, d’aventures, policiers, fantastiques… Même une méthode de lecture, Bulle !
Ses livres ont reçu des dizaines de prix, sont étudiés en classe et empruntés dans toutes les bibliothèques.
Elle est allée partout, dans les ZUP et les ZEP, les campagnes et les villes, les déserts et les îles, en France et ailleurs… Elle a rencontré beaucoup d’enfants et d’adolescents.