WEBZINE N° 13
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Mot & merveilles

Un mot plutôt qu’un autre. Pourquoi un mot nous parle-t-il plus qu’un autre ? Pourquoi nous interpelle-t-il ?
Est-ce sa musicalité, son sens ou son histoire qui nous le font préférer à tous les autres ?

Deux invité(e)s se prêtent au jeu, l’un(e) pour l’écrire, l’autre pour l’illustrer, mais sans se concerter !

Mémoire

 

Et finalement c’est une ancienne qui a choisi d’écrire sur le mot « Mémoire ».

Ce qui est encore plus émouvant, c’est que Madeleine Milhomme est la propre grand-mère d’Aurélia qui avait écrit le magnifique « Joie de vivre » en hommage à Alice. Une filiation aussi par l’écriture. Même si c’est la petite-fille qui a ouvert le bal…

Et cette grand-mère qui nous raconte, qui se raconte avec tendresse et émotion, connaissait Alice : Alice allait déjeuner chez elle tous les mercredis à midi.

 

memoire_margot_Tournie.jpg

Illustration de Margot Tournié.

 


Margot Tournié

Margot, jeune violoncelliste de bientôt 12 ans.

 

« Mémoire »
Aux nouvelles générations.

J’ai 84 ans.

Après toutes les années vécues, il me revient en mémoire tant de choses qui font toute une vie. Petite fille, je me rappelle du « moulin » où sont nés mes ancêtres, une rivière où baignait une grande roue avec des larges palmes en bois qui, en tournant, m’éclaboussaient et me faisaient peur. J’ai appris alors qu’un grain de blé devenait du pain. Je me rappelle des pommiers en fleurs mais aussi du ramassage des pommes, un moment beaucoup moins agréable. Tout cela me semble loin et très présent à la fois. Tant de choses, d’images, de bribes de conversations et même parfois, plus rarement, de parfums me reviennent en mémoire et j’ai l’impression de les revivre, mais ils ont moins de consistance. Parfois, je suis un peu mélancolique, d’autres fois, je ris toute seule en repensant aux bons moments qui ont ponctué ma vie.

Avec ma sœur de sept ans plus âgée, quand j’avais 10 ans environ, nous passions nos après-midis ensemble et nous partagions des secrets. Quand elle ne voulait pas contrarier nos parents, je me faisais complice en échange de bonbons. Dans le « Chemin du Paradis », à l’angle de la maison, elle rencontrait ses amoureux et elle me disait « chut, ne dis rien à personne », et sans vraiment comprendre, je mettais dans mes poches les sucreries qui payaient mon silence. Le décès de ma sœur a été une des très grandes peines de ma vie mais je ne me suis jamais si mieux souvenu d’elle qu’à ce moment-là : c’est comme si elle vivait dans ma mémoire.

Dans ma mémoire, je garde un souvenir pressant, par exemple, de son mariage où des Américains, fêtant leur passage au pays, ont offert le champagne à une partie des invités. La noce résonnait d’éclats de rire. Je suis, je crois, comme tout le monde : je préfère me rappeler des bons moments, des éclats de rire dont on ne sait plus vraiment ce qui les a déclenchés mais qui résonnent pourtant encore à nos oreilles. Cette période a été un moment inoubliable, plein d’effervescence. En 1945, il n’y avait pas assez de tissu pour confectionner les robes du cortège. Ma mère s’est débrouillée pour s’en procurer, pour que la mariée soit comblée.

Il y a tant de choses à raconter… Mais, à mon goût, la chose la plus importante à vous dire est que j’ai toujours cherché à garder plus présents à ma mémoire les bons que les mauvais souvenirs. Quand j’étais petite, on me disait qu’il ne fallait pas trop « broyer du noir » : cela ne signifie pas que je ne pense pas à mes disparus ou aux disputes avec mes proches mais mieux vaut garder le meilleur et se pardonner les moments difficiles sans chercher qui avait tort.

Un dernier souvenir qui me revient en mémoire : la naissance de ma fille, puis celle de mes petites-filles. J’ai attendu huit ans avant d’être grand-mère, moments ponctués d’espoirs et d’abattements le tout couronné de joie et d’euphorie quand les bébés sont nés. Aujourd’hui, je ne me lasse pas d’y repenser quand je vois les grandes gamines qu’elles sont devenues. Mais, au même moment, j’avais la peine de voir disparaître ma sœur chérie.

Dans la mémoire, tout se côtoie, se rencontre, se compense. Les aventures, les amusements et les tristesses. La chronologie a beau parfois m’échapper, les instants qui m’ont émue sont encore ceux qui m’émeuvent aujourd’hui.

 


Madeleine Milhomme

Madeleine Milhomme (née Fouilleul) est née et a grandi à Saint-James en Normandie.

Son père, sévère et charismatique, aimait tendrement ses deux filles sans toujours le faire voir, Suzanne l’aînée et Madeleine la petite dernière.

Forcée d’arrêter ses études au moment de la guerre, Madeleine n’ira jamais au pensionnat pour lequel elle avait préparé soigneusement son trousseau.

À la libération, elle rencontre Jacques Milhomme, tombe amoureuse, se marie le 5 juillet 1947 et s’installe dans un appartement à Fontenay. Quelques années plus tard naît sa fille unique, et 30 ans après ses deux petites-filles.

Elle dit toujours que sa plus grande fierté est d’avoir passé sa vie à offrir affection et attention à ses enfants, les siens mais aussi ceux des autres.

Cet article est tir du numro 13 du webzine https://www.lesmotsdesanges.com/V2 imagin par 4ine et ses invits
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